Penser le religieux et la participation sociopolitique en Belgique : l’espace vécu de l’islam des jeunes
par Morgane Devries[1] et Altay Manço[2]
Si les migrations de travail amorcées dans les années soixante ont rythmé les premières arrivées massives de musulmans venus de Turquie et du Maroc, cette population est aujourd’hui majoritairement née et socialisée en Belgique. Or, alors même que leur quotidien s’ancre dans des lieux de vie commune, les manifestations et formes de visibilité de la religion islamique continuent d’interroger les valeurs partagées qui forment l’identité collective et le sens du bien commun au sein de la société. En tant que lieu de normativité et d’hétérogénéité, l’espace public permet d’éprouver le sens des règles (Lambert, Jacot-Guillarmod et Rolandtout, 1990) en étant le miroir des enjeux de cohabitation, auxquels viennent se greffer les signes islamiques et les significations/imaginaires qu’on leur prête (Göle, 2013).
Force est ainsi de constater que le rapport au religieux dans les sociétés européennes largement sécularisées, couplées aux nombreuses controverses publiques (Göle, 2015) et craintes d’une montée d’un « islam politique » (Dittrich, 2006), concourent à observer sur le devant de la scène médiatique une exacerbation de polarisations et de crispations identitaires autour de l’islam. C’est-à-dire que le religieux a de tout temps marquer l’espace (voir Dierkens et Morelli, 2008), mais son empreinte sur celui-ci semble interprétée au gré de l’actualité médiatique et des enjeux politiques. Les derniers événements en date ont été les attentats terroristes islamistes, rappelant une mémoire sur l’islam colorée par la violence et le paternalisme (voir Ramel, 2004). Si ce climat souligne combien les différences sont nourries par les représentations collectives et peuvent cristalliser certaines peurs et incertitudes pour appréhender les diversités culturelles qui les entourent, ce sont au départ d’espaces urbains, et singulièrement à Bruxelles, où sont particulièrement exprimés et mis en jeu les défis de la cohabitation, des places et de la reconnaissance sociale (voir Corinne Torrekens, 2009) liés à la présence de l’islam.
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Si l’islam est largement devenu un objet public et d’altérisation en Belgique (Touag, 2017), notre contribution propose d’analyser comment il se donne à voir dans le quotidien à travers de nouveaux espaces de « frottements » (Manço, 2002). C’est ainsi que nous reviendrons dans un premier temps sur l’expérience d’un cycle de « forums citoyens » organisés à Bruxelles en 2017 au cours desquels des citoyens musulmans et non musulmans ont pu dialoguer à propos de la place de l’islam dans leur vie de tous les jours, de ses objectifs et méthodologies. À partir des principaux enjeux qui sont ressortis de ces débats, nous nous focaliserons sur les discours et les réalités de la jeunesse musulmane[3]. Sujet d’une préoccupation transversale, nous développerons donc dans un second temps les dynamiques de construction identitaire des jeunes à partir de facteurs structurants qui traversent leurs trajectoires de vie, la manière dont ils se rapportent aux générations précédentes et à leurs pairs. Enfin, il s’agira de souligner les perspectives évolutives et mouvantes des religiosités contemporaines de ces jeunes à la faveur de réflexions propices à leur épanouissement citoyen.
I – LES « FORUMS CITOYENS » COMME DISPOSITIFS DE DIALOGUE AUTOUR DE L’ISLAM
- Entre espace public et histoire commune : le cas d’une exposition sur l’islam à Bruxelles
Les forums citoyens ont pris place durant six rencontres au sein de l’exposition « L’Islam, c’est aussi notre histoire ». Résultat d’un large partenariat européen, dont l’IRFAM[4], sous la coordination de Tempora[5], ce projet a longtemps été réfléchi avant de commencer à être réalisé en 2012 grâce à un soutien de l’UE. En raison des attentats survenus en France et en Belgique en 2016 et des réticences de représentants politiques pour l’accueillir dans l’espace public, elle s’ouvrira finalement au centre de Bruxelles entre septembre 2017 et janvier 2018. Dans ce contexte, l’exposition survient effectivement à un moment où un nouvelle fois « les citoyens assistent à la rencontre entre l’Europe et l’Islam dans toutes ses manifestations tragiques – vagues d’immigration massives et chaotiques, violence terroriste insensée, sentiment d’aliénation, incompréhension et l’hostilité »[6]. Contrairement aux imaginaires répandus et réactualisés par les événements qui l’ont précédé, l’exposition tâche de faire au comprendre que la présence de l’Islam en Europe n’est pas tant une nouveauté que le concourt d’une histoire partagée. En revenant sur les traces laissées par la civilisation musulmane sur le sol européen depuis 13 siècles, l’ancrage de ce projet acte dans l’espace public bruxellois (publicités à large échelle et diffusions) et médiatique (presse traditionnelle écrite) la reconnaissance d’une identité collective, et non plus uniquement antagonique, entre l’Islam et l’Europe.
Si l’émotion et les tensions suscitées n’ont fait que renforcer l’intérêt de ce projet, elles ont sans cesse été intégrées dans le cadre du processus de négociation guidant les choix de ce qu’on donne à voir et ne pas voir dans l’exposition, tout en ne faisant pas fi des conflictualités historiques. C’est pourquoi, il a également été jugé nécessaire de l’accompagner d’une dimension relationnelle à laquelle les « forums citoyens » ont tenté d’apporter leur contribution. L’ouverture à la participation du public musulman en favorisant une mise en dialogue avec leurs concitoyens a ainsi été intégrée à l’exposition dans un espace dédicacé. En parallèle, une attention était particulièrement portée pour que ce public puisse accéder à l’exposition. In fine, force est de constater que de nombreux citoyens de confession musulmane et qu’une majorité de bruxellois ont effectivement été visiter l’exposition, lesquels ont pu témoigner de l’importance d’être reconnu et considéré comme acteurs à part entière de l’histoire européenne tout en soulignant leur sentiment positif d’être valorisé et d’en apprendre davantage sur leur patrimoine.
2. Ancrer l’islam dans l’expérience subjective : le cas des « forums citoyens »
En ce sens, les « forums citoyens » prennent place dans un cadre temporel où les polarisations liées à la présence musulmane et certaines formes d’islam ont été particulièrement exacerbées, d’un côté, et dans un environnement spatial d’une exposition qui place son message fondateur aux antipodes des imaginaires oppositionnels couramment véhiculés. Aussi, ces espaces d’échanges ont principalement pour vocation de donner la parole aux musulmans tout en permettant de donner à voir une pluralité d’islams en prenant appui sur des témoignages respectifs de leurs quotidiens (voir Devries et Manço, 2018). Au total, ce sont plus de 25 témoignages que nous avons recueillis, accompagnés d’échanges avec un public. Dans un contexte où l’espace public et médiatique exposent de manière antagonique l’islam et la société dos à dos, tout en étant approprié et visibilisé par les fidèles et citoyens, les forums offrent un espace destiné à placer au cœur des relations ce qui est de commun, en partant des « rôles sociaux » (Goffman, 1991) qu’habite tout individu dans son parcours de vie. Les témoins étaient invités à s’exprimer face à un public, soit sur leur rapport subjectif à l’islam – difficultés et forces associées au quotidien –, soit la manière dont ils ont été amenés à rencontrer des musulmans – ce qu’ils en retiennent et ce qu’ils en pensent.
Pour ce faire, la méthodologie privilégiée a été de nous centrer sur les « récits de vie » préalablement discutés avec chacun des témoins dans le cadre d’un entretien et de tenir compte des effets affectifs et émotionnels du contexte dans leur processus de participation par rapport aux conditions de dialogue encadrées dans ces forums. En tant que médiums narratifs, les récits situent d’emblée le champ de l’expérience racontée sur le plan subjectif tout en le situant dans une genèse particulière, c’est-à-dire de périodes « charnières » (Bertaux, de Singly, 2016) à la fois sur la plan individuel (trajectoire de vie) et collectif (réalités communautaires). De la sorte, plutôt que d’entrevoir l’islam en tant qu’objet public – et par-là même « figé » politiquement –, c’est le cheminement et l’évolution qui sont au cœur des discours et expériences partagées. L’analyse de ces forums s’est inscrite de façon parallèle à ce que l’on appelle les « focus group » (voir Merton et Fiske, 1990). L’outil d’entretiens collectifs vise à placer et reproduire des cadres d’interactions à partir desquels se donnent à voir des représentations, le processus communicationnel, les capacités réflexives des acteurs qui y participent (Kalampalikis, 2004 ; Baribeau, 2010) et comment ces derniers construisent une vision du monde et des phénomènes sociaux (Linell, 2001).
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En partant de cette perspective, les forums ont été structurés à partir de thème central représentatif des étapes et des sphères de vie sociale communs aux individus[7] qui pouvait se redéfinir et évoluer dans le fil des interactions. Tout en laissant la place pour que la dimension religieuse soit discutée, les enjeux relatifs à la transmission et l’éducation, à la scolarité ou encore à la participation citoyenne permettent de dépasser les particularités, de tisser des ponts entre les histoires de vie et de dépolariser/dépolitiser la question de l’islam. Pour autant, les discriminations ont été de loin transversales aux narratifs musulmans et ont montré comment, même si l’islam est un moteur de sens à une participation sociale et citoyenne, celui-ci engage aussi une série de « coûts sociaux ». En plus de la dimension raciale, l’islam peut s’avérer source de discrimination selon son degré de manifestation et de visibilité dans l’espace public et selon la capacité et/ou la volonté qu’a le croyant ou la croyante à laisser de côté certaines facettes de son islamité dans les « rôles sociaux » qu’il/elle habite.
Face à de telles injustices dans différents sites étatiques, les adolescents et les jeunes adultes semblent plus prompts que leurs aînés à exprimer publiquement leurs revendications politiques et leurs idéaux de justice et d’équité. En mettant en avant leurs visées du bien commun et leur désir d’ « indifférenciation » (Vibert, 2009) c’est une forme de « lutte pour la reconnaissance sociale » qui se reproduit jusqu’à nos jours (Honneth, 2000) dans l’espace public. En outre, la jeunesse musulmane a été une des préoccupations principales dans les narrations des témoins, qu’elle ait été envisagée d’un point de vue indirect (en tant que parent ou enseignant) ou direct (en tant que jeune), en étant située dans le passé (ancien vécu de jeune) ou le présent (préoccupations actuelles). Le climat particulier lié aux phénomènes de radicalisation n’est pas sans lien avec cette focalisation pour la jeunesse musulmane (voir Fadil, de Koning et Ragazzi, 2019), son devenir et la désaffiliation sociale (Castel, 1995, 2008) vers laquelle tend une partie d’entre elle
II – LE RAPPORT DES JEUNES À L’ISLAM : UNE HISTOIRE DE GÉNÉRATION À SES ESPACES DE VIE
- Facteurs d’influence et actualisations de l’islam dans la trajectoire de jeunes musulmans
Si l’islam perd de son « évidence sociale » (Roy, 2002), dans le sens où il n’est ni structurant, ni une norme dominante, on constate à la fois une forme de déclin des pratiques et des croyances, une forme de sécularisation, couplée à une imbrication plus étroite de l’identité religieuse avec le sentiment d’être citoyen (Bouzar, 2003). En parallèle de cela, l’islam peut être considéré comme étant une donnée environnementale (Park et Burgess, 1921), c’est-à-dire un élément s’actualisant dans le cadre d’interactions situées (voir Kolly, 2019). Les espaces de socialisation produisent alors des effets subjectifs (adjuvants/freins) qui, en retour, donnent ainsi à voir des rapports à l’islam différents. Au départ des témoignages, nous avons pu souligner quatre facteurs-types susceptibles d’infléchir sur le rapport qui lie le jeune à l’islam et s’actualisant de diverses façons à travers leurs espaces de vie (voir Devries et Manço, 2018).
1.1 L’ancrage communautaire : spatialité, appartenance et noyau relationnel
L’ancrage communautaire des musulmans, tant sur le plan spatial que culturel/religieux, prend racine dans le foyer familial. Au commencement, celui-ci se construit dans l’espace privé domestique et lie le jeune à une filiation religieuse et culturelle par l’entremise de ses parents. Pour autant, le champ de cet ancrage communautaire peut s’ouvrir plus largement à d’autres espaces (la vie du quartier/lieux de culte) et d’autres liens (amicalités/voisinage). Ceci est d’autant plus observable dans les espaces urbains, comme à Bruxelles, où la présence musulmane est particulièrement concentrée (voir Corinne Torrekens, 2009), et ce, bien que les significations de ces liens puissent différer/évoluer selon les générations. Sous cet angle, la communauté est généralement perçue comme un facteur facilitant l’intégration sociale des musulmans face au manque de structures prévues par l’État et/ou formes de discriminations structurelles par le biais de mécanismes de solidarité entre coreligionnaires. Les liens sociaux qui ont initialement donné lieu à l’émergence d’un tissu associatif et social dense continuent aujourd’hui d’être un filet de sécurité pour ceux qui sont exclus du marché ou de l’école. Au sein de quartiers où sont regroupées ces populations, les relations se nourrissent de conditions sociales partagées à partir desquelles l’appartenance à l’islam peut donc être ponctuellement actualisée. En ce sens, la communauté semble d’autant plus appréciée positivement qu’elle contribue à un sentiment d’unité et à un sentiment d’appartenance. Toutefois, à mesure où cet ancrage au sein de quartiers est synonyme d’enclavement, d’absence de mobilité et/ou d’ascension sociale, tout en étant l’objet de contrôle, elle peut devenir un support de protection et un facteur de délimitation de frontières entre un « eux » et un « nous ». Ceci est notable auprès des jeunes générations qui ressentent à plus forte raison des formes de rejet et éprouvent la reproduction de fractures sociales dans leur quotidien. Si ces liens ont vocation à sécuriser le jeune, ils participent dans le même temps à une forme d’ethnicisation des rapports sociaux (Barth, 1969) auxquels ils sont eux-mêmes renvoyés.
Par l’intermédiaire de ces proximités, la dimension religieuse à laquelle peut aussi renvoyer l’appartenance communautaire s’avère elle aussi actualisée. A la fois celle-ci permet de rendre vivant la foi au niveau collectif dans la ritualisation au sein de lieux et temps spécifiques, à la fois elle permet de laisser les attitudes (a)religieuses sous l’œil des relations de proche-en-proche. Si cet ancrage est un support émotionnel du vécu religieux, le jeune peut aussi se confronter à des formes de contrôle social, à l’extérieur de la cellule familiale dans l’espace public, par rapport aux normes islamiques qui seraient ou devraient être majoritairement partagées, allant du simple « rappel islamique » à des démarches de rejet plus poussées. La dynamique ainsi engagée viserait ainsi à rapprocher et unifier le croyant autour d’un modèle (de ce qui signifie être un « bon » musulman) et aurait tendance, dans le même temps, à homogénéiser des manières de se montrer comme étant musulman. Dans l’expérience quotidienne des jeunes, ces marques de « contrôle » semblent renforcées par la proximité et densité des liens d’amicalité et surviennent pour les empêcher de se rapprocher de « contacts interdits » — ou ce qui est perçu comme tel (l’alcool, mixité de genre, mixité confessionnelle) pouvant potentiellement les installer dans des conflits de loyauté. Certes, l’individu ne pose aucun choix hors de toute attache communautaire. Force est de constater que les quartiers structurent des « habitus » de sorte à ce que les jeunes habitent aussi des rôles, alliant l’esthétisation de l’islam à des logiques de distinction sociale. Comme dans toute recherche de sens, l’ancrage communautaire, inscrit dans l’espace, comporte donc de l’ambivalence dans la mesure où à la fois il répond à un besoin de familiarité, garantit un lien de sécurité face à des sentiments d’exclusion, à la fois il peut freiner un processus d’émancipation individuelle et de relation personnelle vis-à-vis de la religion.
1.2 L’altérité : le jeu de la différence dans le regard et le contact à l’école
Ensuite, le parcours d’un jeune se construit également en invoquant la dimension de l’altérité, à laquelle l’islam peut de nouveau venir plus ou moins se greffer. Dans les témoignages, celle-ci renvoie aux contacts avec des personnes de confession non musulmane pendant lesquels les musulmans ont été renvoyés à leur différence, prenant conscience de cette distinction pour eux-mêmes. A partir de là, des recherches de sens à donner à cette partie de leur appartenance s’opèrent et se poursuivront intensivement jusqu’à l’âge adulte, débouchant sur un renforcement de la foi et du lien avec Dieu. A l’instar de ce que l’on peut déjà observer, c’est qu’un des paradoxes qui traverse la confrontation avec l’altérité en contexte post-migratoire, est de déboucher sur une forme d’émancipation spirituelle et individuelle d’une part, et à plus de loyauté à la tradition, d’autre part (Tournier, 2011). De la sorte, l’appartenance à l’islam se cherche dans un espace où cette religion n’est pas majoritaire, parmi d’autres facettes de soi, dans le sens où la distance peut renforcer l’attachement. Dans le cas des jeunes – comme ce le fut pour leurs parents –, la confrontation à leur différence s’amorce dans la sphère scolaire, dans le cadre de contacts avec les pairs ou avec certains savoirs qui y sont enseignés et débattus. En ce sens, on peut noter que le degré de mixité qui compose l’environnement scolaire et la manière dont ces institutions reproduisent les inégalités et discriminations ont une influence sur le type de sentiment d’appartenance que nourrit le musulman par rapport à cette institution, et par extension, le fabrique dans son rapport avec le reste de la société.
L’ethnostratification et la ségrégation que connaît le système scolaire belge (voir Demeuse, 2008a, b), à Bruxelles notamment, participent à configurer des « places » selon les backgrounds socio-économiques et culturels. De là, nous avons pu dégager deux types de rapports à l’altérité. En fonction de l’école fréquentée par le jeune, en effet, la manière de se « sentir » musulman et d’évaluer ses perspectives futures de jeune font effectivement prendre des couleurs différentes. D’un côté, une confrontation au doute s’opère lorsque l’école est majoritairement composée, selon les dires des jeunes, par des « belges de souche » / « blancs ». Même s’ils ne sont pas toujours apaisés, les contacts que les jeunes ont peuvent être en partie caractérisés par des remarques et des questions à propos de l’islam et sont porteurs à plusieurs niveaux. Renvoyés à cette facette d’eux-mêmes, les jeunes sont amenés malgré eux à s’interroger sur des pratiques religieuses et des imaginaires, d’une certaine façon dépendant de la façon dont cette religion est dépeinte dans les médias. En s’interrogeant sur leur rapport à l’islam, les jeunes s’inscrivent dans une recherche et un processus d’individualisation, une mise l’épreuve de la « critique » des traditions et héritages. La confrontation à la différence a ceci de positif qu’elle pousse le jeune à s’approprier ses attaches et à opérer une démarche de réflexivité. D’autre part, pour une grande part des jeunes musulmans, principalement bruxellois, scolarisés dans des écoles ethnostratifées et ségrégées, les contacts se posent différemment. Si le jeune a plus facilement le sentiment d’être parmi ses pairs et d’être moins perçu comme différent dans l’enceinte scolaire (le quartier par extension), cette situation n’est pas sans incidence sur ses projections futures et son rapport à l’islam. A contrario, se développent alors l’islam s’actualise à certains égards autour d’une identité de groupe (Tournier, 2011) pouvant aller jusqu’à favoriser des formes de conformisme. La scolarité inscrit le jeune dans des « places » inégales au niveau de l’égalité des chances et qui peuvent être le prolongement de vécus déjà éprouvés dans d’autres espaces de vie, pouvant ainsi renforcer une forme de loyauté et un attachement à travers lesquels l’islam peut être convoqué. Dans cette recherche de sens, les jeunes ayant pu bénéficier d’une scolarité dans des écoles – ou après en supérieurs – où ils étaient minoritaires, du point de vue de leur islamité, semblent s’être appuyé positivement pour enrichir leur rapport à l’islam.
1.3 Les figures d’autorité : entre leadership islamique et transmission traditionnelle
Les figures de l’autorité islamique, quant à elles, prennent place dans un contexte de transmission fragilisée, où l’éducation parentale peut se heurter à des différences par rapport à leurs enfants concernant le rapport à l’environnement d’existence (belge et pays d’origines), les repères et codes générationnels et les nouvelles modalités d’accès à la connaissance de l’islam (Remy et Maréchal, 2017). De surcroit, cette éducation parentale semble particulièrement affectée quant aux conditions pragmatiques des réalités des jeunes auxquelles elle doit faire face. Sont ainsi invoqués les préoccupations croissantes des parents par rapport au contexte discriminant et raciste dans lequel leurs enfants évoluent et les « coûts sociaux » qu’engendrent le fait d’être de telle ou telle origine, ou de telle religion. Aussi, si les parents « souhaitent transmettre des valeurs liées à la religion et au pays d’origine à leurs enfants » (Fortin, le Blanc, le Gall, 2008 : 106). Si les parents immigrés il leur est de plus en plus difficile de garantir leur rôle de transmission dans un contexte plus large de crise de légitimité des sources d’autorité traditionnelles. En tant que jeune musulman, les références parentales sont ainsi balancées par des formes de « socialisations volontaires » (Roy, 2002) qui peuvent être source d’appartenance. Comparativement à leurs parents ayant participé à la fondation d’infrastructures religieuses et accédant aux ressources spirituelles et religieuses à travers la mosquée, les jeunes vont effectivement puiser dans d’autres espaces de socialisation (Lamghari, 2014) – associatif, collectif, numérique – à partir desquels leur rapport et leur accès à l’islam se construit. Plus qu’un héritage familial, il devient un champ d’apprentissage.
En parallèle de cela, on observe depuis quelques dizaines d’années le développement (voire la recrudescence) de nouvelles figures d’autorité islamique sur le net (Bunt, 2000). En transcendant les frontières spatiales, l’usage de YouTube ou des réseaux sociaux leur permettent entre autres de proposer à la fois un discours global aux musulmans (Maréchal, 2018), à la fois de représenter une forme d’authenticité de ce qu’être musulman. Si ces nouvelles formes d’autorité sur le net semblent particulièrement charismatiques et influentes auprès des jeunes générations, c’est que le format de diffusion rentre en écho avec les outils et technologies de leurs temps qui, outre leur accessibilité, permet d’une certaine façon de combler le décalage que certains ont avec l’environnement des mosquées, décontextualisée selon certains jeunes des expériences et situations qu’ils vivent. Contrairement aux formes de transmission traditionnelle, l’islam sur internet a ceci de particulier qu’il rend difficile l’identification de la véracité et l’authenticité des informations qui y sont véhiculées et fait circuler des discours. À cela, s’ajoute une saturation des sites internet dédiés à l’islam et aux figures qui s’y mettent en scène par un islam normatif (voir Roy, 2000). La toile du net semblerait traversée par une tension entre une prolifération de leaders charismatiques d’un côté, et une homogénéité des discours véhiculés, de l’autre. L’identification des jeunes à des figures d’autorité serait d’autant plus importante que celles-ci répondent à leur besoin de valorisation de soi et d’agir en conformité aux principes islamiques, qu’elles renvoient à une esthétisation des figures de savants de par leur code vestimentaire et que leurs discours entrent en résonnance avec des conditions sociales inégalitaires partagées, ou appuient celles-ci dans le cadre de prêche.
1.4 La géopolitique : quand le global impact le vécu local
La géopolitique, notre dernier facteur, renvoie à l’interférence d’évènements globaux de nature politique en lien avec le monde islamique et à leur médiatisation (Robertson, 1995) dans le quotidien des musulmans. Les revendications et le répertoire religieux mobilisés pour justifier des actes de violence au nom de l’islam et d’autres évènements violents au sein de pays à majorité musulmane et en Europe participent aux polémiques relatives à l’islam dans les pays occidentaux (Göle, 2015). Dans l’histoire de la présence musulmane en Belgique, l’impact de la géopolitique sur la manière de percevoir le musulman remonte à la crise pétrolière de 1973. À partir de cette période, de nombreuses manifestations de racisme et de discriminations s’observent dans l’espace public, principalement à Bruxelles, alimentées par certains représentants politiques et des formes de gouvernementalité qui peuvent s’avérer particulièrement répressives. La géopolitique n’a depuis cessé d’être influente sur les réalités locales, et pi, elle aurait accentué les stigmatisations à partir des années nonante et l’arrivée de terrorisme islamiste sur la sphère internationale, de sorte à ce que cette population sera au fil des ans criminalisée et l’objet d’une attention assidue dans le champ des politiques publiques. Objet d’amalgames croissant de la part de non-musulmans, dans des formes plus ou moins virulentes/maladroites, les jeunes comme leurs parents semblent renvoyés comme coresponsables ou représentatifs d’une menace et leurs identités sont ainsi systématiquement renvoyées à l’islam comme si cette facette était englobante de ce qu’ils sont.
Aussi, cette préoccupation d’être stigmatisé se pérennise entre autres de génération en génération (voir Jamoulle, 2013) et fragilise avec d’autant plus d’acuité les jeunes générations dans leur rapport à l’islam, semées d’être renvoyés à une part d’eux-mêmes tout souhaitant être perçus comme étant citoyens à part entière. Or, les jeunes musulmans témoignent d’un décalage entre les faits violents auxquels l’islam est rapporté de près ou de loin, d’un côté, et ce qui forme le ciment de leur vie quotidienne et la manière dont l’islam y prend place, de l’autre. Alors que l’islam renvoie pour eux à une relation intime et intérieure, la religion est sans cesse extériorisée et sortie de l’ordre du vécu pour se cristalliser autour des imaginaires et des enjeux politiques auxquels ils sont rattachés. Les jeunes font face à des images qui ne leur ressemblent pas et qui ne sont pas, in fine, représentatifs de leurs expériences personnelles.Se trouvant généralement dans une incapacité d’argumenter ou d’en le refus de devoir se justifier lorsqu’ils font l’objet de remarques ou de questionnements, ils vivent une certaine perte d’emprise sur les réalités qui les concernent et auxquels ils ne prennent pas part. Aussi, la prédominance de la géopolitique joue sur la propension qu’a le jeune à vivre sa religion de façon apaisée dans le sens où celui-ci doit au quotidien assumer un versant de l’islam qui ne reflète pas ce qu’il vit dans le cadre de son cheminement. Dans le creux de cette tension entre ce que les jeunes sont et vivent comme attache par rapport à l’islam et ce qu’ils doivent porter par rapport à leur environnement extérieur peut se construire et se jouer un rapport conflictuel vis-à-vis de leur islamité et leur appartenance à une communauté.
2. Les modes d’être à l’islam au prisme de la culture jeune
L’islam n’est pas une réalité qui se donne à voir indépendamment de l’environnement dans lequel il prend place. En tant que répertoire de sens, il s’investi en fonction de besoins qui prennent racine dans une condition humaine singulière et collective. L’attention sociologique portée sur la jeunesse s’est développée à l’entrée de la période post-moderne, en raison de l’intensification des changements sociaux qui la caractérise (Prout, 2011). La contemporanéité d’expériences vécues par les jeunes dans des sociétés dont les fondements sont remis en question nous permet de saisir les tensions sociales qui traversent la place de l’islam dans la vie sociale et collective. En écho aux facteurs précités, la dimension générationnelle ancre l’islam dans des réalités et des préoccupations singulières. Singulièrement, les transformations liées aux transmissions intergénérationnelles et traditionnelles s’inscrivent dans un contexte de survenance de nouvelles configurations familiales, la perte d’emprise des modèles de référence, la globalisation culturelle et les nouvelles voies d’information (Prout, 2008). Face à la perte d’influence des institutions (familiale, scolaire, publique) dans la régulation des relations sociales et la ritualisation des étapes de vie, les jeunes vont plutôt privilégier une identification de type horizontale, alors que leurs parents privilégient les structures verticales de transmission.
En outre, ces nouvelles sociabilités confèrent aux relations entre pairs un rôle central dans leur processus de construction identitaire, participent au développement de leur sentiment d’appartenance qui leur apportent stabilité et sécurité (1999), loyauté et émotions partagées (2010). Étant donné que les « régimes d’autorité » qui encadrent la construction identitaire des jeunes « deviennent de moins en moins évidents » (Sirota, 2011), moins structurants et sont en perte de légitimité, ceci renforce en retour « la culture de pairs et ses aspects générationnels » (Idem). La reconnaissance réciproque et l’identification s’opèrent à l’égard du groupe et favorisent une identité de jeunes, en principe articulée autour de l’identité groupale.
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Si les facteurs susmentionnés participent à ce que l’islam des jeunes soit fabriqué par leurs espaces de vie, ceux-ci sont également alimentés par des dynamiques générationnelles. Entre autres, les phénomènes de discriminations précédemment évoqués se cristallisent et se renforcent à la période de l’adolescence avec d’autant plus d’acuité, notamment dans leur confrontation avec l’école, ses codes culturels dominants et ces logiques de relégation. Aussi, les discriminations dans les sites étatiques (espace public et médiatique, marchés scolaires, du travail, du logement) que vivent les jeunes participent à la fabrique d’un sentiment de rejet de la part de la société dans laquelle ils sont nés (Bouhout, 2015). En parallèle, ces affects peuvent évoluer et résonner au travers des liens qu’ils construisent au sein de leurs espaces de vie du quotidien, allant de l’école au quartier, jusqu’à la cellule familiale. Au plus certains jeunes ont tendance à être perçus comme un « problème » par les institutions, au plus ces liens horizontaux (communautaire/de quartier, d’amicalité/solidarité) feront sens dans leurs histoires de vie dans une période où la recherche de sécurité et de loyauté est centrale. Renforcé par une gentrification des espaces urbains, les « places » desquelles ils ont difficile à s’extirper impactent donc leur sentiment d’appartenance mais aussi leur propension à développer un rapport de revendication, voire de défiance, vis-à-vis de leur société.
Si les discriminations ont tendance à favoriser des postures oppositionnelles et ce besoin de sécurité, elles ne sont pas l’apanage de ceux vivant des fractures sociales au sein de la société, car nombreux sont les jeunes à reconnaître être passés par là avant d’accéder à un vécu religieux plus apaisé et réflexif et dans la capacité de concilier la multiplicité de leurs facettes identitaires. En effet, ces logiques s’inscrivent dans une période de vie propice à de telles conflictualités, lesquelles se manifestent en partie de leur rapport à l’islam. D’une part, on peut noter la manière dont celui-ci est jalonné d’une lutte pour leur droit de participer en tant que citoyen à la vie sociale. Cette lutte s’observe au départ de leurs revendications d’indifférenciation (Vibert, 2009), à savoir la liberté individuelle de pratiquer leur religion et d’avoir accès à l’égalité des chances sans devoir faire face à des discriminations. Leur dynamique de reconnaissance personnelle et de groupe peut donner lieu à des démarches d’affirmation identitaire et d’engagement nourries par leurs croyances religieuses. D’autre part, l’accès à l’islam se trouve investi par ce souci de sécurité (certitude/authenticité) avec pour porte d’entrée la praxis religieuse. A côté des urgences pragmatiques liées aux conditions sociales d’existence, les jeunes cherchent à être de « bons » musulmans. Cette recherche illustre un processus de connaissance et d’apprentissage autant que l’accès à une image valorisante de soi. En ce sens, le registre normatif – que l’on retrouve dans les discours dominants sur le net – rentre en écho avec certaines de leurs attentes et questionnements (voir Abdel Gawad, 2016). Par délimitation entre ce qui est « permis » de ce qui est « interdit », il apporterait une forme de clarté et un mode de compréhension sécurisant dans le cheminement du jeune, autant qu’il répond à ce besoin d’appartenir à un groupe.
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Être musulman pour un jeune est une énigme à laquelle on ne saurait répondre, tant les parcours de vie sont singuliers et appartiennent à ceux qui les vivent. Si tout individu ne peut certes évoluer et faire des choix hors contexte, la question fondamentale et individuelle qui s’invite dans l’expérience des croyants est que l’islam les amène à une forme d’apaisement. Prendre au sérieux le religieux et les tensions sociales qui le traversent méritent donc toute notre attention. Notamment, les témoignages nous montrent au combien l’accès à des ressources symboliques, humaines et matérielles positives sont des éléments primordiaux dans la capacitation du jeune à développer une image de soi positive et à habiter un rapport apaisé à l’islam. En effet, les étapes de vie d’une grande partie de la jeunesse musulmane comportent malgré tous des spécificités lorsque l’on s’attarde aux inégalités de privilèges auxquels ils peuvent prétendre. Le développement d’un sentiment positif de soi dans son environnement et son rapport à l’islam est le plus souvent le résultat de conquêtes successives donnant une assise aux possibilités d’ascension sociale et de mobilité (en termes d’accès à des diplômes, à des emplois, à diverses formes de reconnaissances), d’un côté, et de la capacité des jeunes à se confronter et/ou disposer de savoirs pluriels et divergents au sujet de l’islam, de l’autre. Même si l’islam est actualisé de manière multiple selon les contextes, le rapport subjectif évolue positivement vis-à-vis de ce dernier par l’entremise, à la fois d’une prise de distance quant à la place prise par la normativité/culpabilité, à la fois par une dépolitisation de l’objet au niveau des relations sociales. De la sorte, les expériences des jeunes peuvent se traduire dans de nouvelles formes d’engagement dévoilant leurs idéaux de justice et d’équité auxquels ils ont eux-mêmes (eu) difficiles à accéder. La transformation d’une parole individuelle et de vécus partagés en une parole collective reconnue semble favoriser cette participation des jeunes à la vie sociale, pour des causes et des questions de sens susceptibles de donner corps à leurs croyances et à les faire exister.
CONCLUSION
Au travers de notre dispositif de « forums citoyens », nous avons vu au combien la reconnaissance sociale de l’islam dans l’espace public reste un enjeu symbolique central. Bien que la présence musulmane soit plus jamais intégrée dans le champ sociétal, les imaginaires qui l’entourent et les inégalités structurelles en altèrent la cohabitation. Or, l’appartenance liée à une religion et les réalités communautaires se réalisent et prennent sens que dans la mesure où ils peuvent être exprimés publiquement (Lambert, Jacot-Guillarmod et Roland, 1990). Comme nous avons pu le montrer, l’islam est une donnée environnementale parce que continuellement interrogé et alimenté par des facteurs externes et situés spatialement. Ceci semble d’autant plus présent que l’époque contemporaine amène à des expressions religieuses toujours plus diversifiées et individualisées (Lahire, 2006) tout en étant mis en perspective par rapport à des attaches, des « déjà-là ».
Si les dynamiques observables auprès des jeunes musulmans sont plus enclines à entrer dans des démarches d’opposition et à accorder une centralité une norme sécurisante, c’est que ces facteurs percolent plus assidument les besoins et les difficultés de cette période d’adolescence tout en continuant de fabriquer des modes d’être à l’islam. L’ancrage communautaire, l’altérité, les figures d’autorité et la géopolitique sont tour à tour des facteurs qui fabriquent des modes d’être à l’islam et qui peuvent être envisagés comme des adjuvants ou des freins dans les expériences de vie des jeunes musulmans. Au travers de leurs récits, notre contribution souligne que les jeunes passent tendanciellement par des moments charnières où ils s’appréhendent horizontalement, à partir du regard d’autrui, comme cela s’observe dans leurs relations sociales par un valorisation et un soutien dans leurs liens de pairs et dans leurs manières de se rapporter à l’islam, avant de nourrir et d’enrichir leur lien de verticalité, c’est-à-dire spirituel.
[1] Morgane Devries est doctorante en sociologie à l’UCLouvain (F.R.S/FNRS) au Centre d’études interdisciplinaire sur l’islam dans le monde contemporain (CISMOC).
[2] Altay Manço est Directeur scientifique à l’Institut de Recherche, Formation et Action sur les Migrations (www.irfam.org).
[3] Bien que des éléments généraux puissent être étendus à l’ensemble de la jeunesse musulmane dans le sens où ils renvoient aux réalités propres aux jeunes, la majorité des témoignages proviennent de personnes avec un background maghrébin/turc.
[4] L’IRFAM (www.irfam.org) est un organisme d’éducation permanente au service des professionnels de l’action sociale, de l’éducation, du développement culturel.
[5] Tempora (https://tempora-expo.be/) est une entreprise muséologique basée à Bruxelles et engagée dans de nombreux projets d’exposition européens, dont des expositions « itinérantes », comme celle axée sur l’Islam.
[6] Extraits de témoignages recueillis de la part des organisateurs de l’exposition.
[7] Les six rencontres ont été divisées autour des thèmes suivants : 1) le travail et la formation, 2) la jeunesse et l’adolescence, 3) la parentalité et l’éducation, 4) la vie en couple, 5) le vieillissement et 6) la citoyenneté.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Valérie Orange (31 octobre 2020). Penser le religieux et la participation sociopolitique en Belgique : l’espace vécu de l’islam des jeunes. Éducation & Diversité. Consulté le 10 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12p4j
