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Le problème de laïcité dans les écoles, une diversion ?

Par Julie Larochelle-Audet (Université de Montréal), Corina Borri-Anadon (Université du Québec à Trois-Rivières), Sivane Hirsch (Université Laval) et Marie-Odile Magnan (Université de Montréal), professeures en sciences de l’éducation. 

Le 14 novembre 2024, le gouvernement du Québec a annoncé l’ouverture de « mandats de vérification » dans 17 établissements ayant fait l’objet de plaintes et de signalements pour des manquements aux principes de la Loi sur la laïcité de l’État. Le premier ministre François Legault avait précédemment annoncé vouloir « renforcer les contrôles et la laïcité dans les écoles », suite à la diffusion publique du rapport d’enquête du ministère de l’Éducation sur le Centre de services scolaire de Montréal et l’école Bedford. Bien avant, en mai, le ministre responsable de la laïcité, Jean-François Roberge, avait sollicité une rencontre avec le ministre de l’Intérieur français pour « apprendre de l’expérience française en matière de laïcité », en particulier à l’école.

Ce même 14 novembre 2024, nous étions justement en France aux 5e rencontres du Réseau international Éducation et Diversité (RIED), qui réunit des chercheur·es intéressés par les enjeux de diversité en éducation. Des travaux récents montrent comment les mécanismes de contrôle et de surveillance implantés pour faire respecter la laïcité à l’école française contribuent à construire un « problème » musulman et à légitimer des pratiques discriminatoires. Il ressort également que ces mesures peuvent induire un climat de suspicion à l’endroit du personnel scolaire racisé dont, en premier lieu, les personnes musulmanes ou perçues comme telles. Les récentes annonces du gouvernement Legault nous amènent à interroger les raisons justifiant la mise en œuvre au Québec d’une approche de sanctions et de surveillance s’apparentant à ce qui a été implanté en France et de ses effets. Nous sommes notamment préoccupées par l’identification sur la place publique d’écoles avant la tenue d’enquêtes et la démonstration de la preuve. Les membres du personnel scolaire et de direction des établissements ciblés se retrouvent au cœur d’une attention sociale et médiatique suspicieuse pouvant affecter leur bien-être et leur prestation de travail auprès des élèves. Le cas de l’école Alphonse-Pesant, où une enquête du centre de services scolaire a démontré que les allégations médiatisées d’endoctrinement religieux n’étaient pas fondées, constitue un exemple des dérives possibles. 

Aussi, nous nous questionnons sur la mise en avant de la laïcité pour expliquer divers problèmes observés dans les écoles québécoises. Soulignons que l’enquête sur l’école Bedford était de type administrative et qu’il n’y a aucune mention dans le rapport d’une entrave en matière de laïcité. Pourtant, l’appartenance religieuse, la langue et le statut d’immigration sont de plus en plus médiatisés pour expliquer des pratiques ou des comportements contrevenant à divers cadres légaux régissant les établissements d’enseignement publics au Québec, dont la Loi sur l’instruction publique. Le recours à la Loi sur la laïcité de l’État plutôt qu’à ces encadrements légaux et pédagogiques nous semble tendancieux. Respecter le programme de formation (dont l’éducation à la sexualité, l’enseignement des sciences et autres), collaborer avec le personnel des services complémentaires, adopter une vision globale et respectueuse des besoins des élèves sont des défis pour plusieurs acteurs et actrices dans divers milieux et exigent des ressources, des conditions de travail propices et de la formation initiale et continue. Le fait d’appréhender ces défis par le biais de la laïcité et de l’intégration des personnes immigrantes est réducteur et risqué. Comme pour la loi 14, l’approche de sanctions et de surveillance en matière de laïcité s’effectue sans connaître au préalable ses modalités d’application. Elle tend également à sous-estimer la complexité des réalités professionnelles des personnels, souvent marquées par l’urgence d’agir et des contraintes organisationnelles importantes. Nous souhaitons donc mettre de l’avant les réels défis rencontrés aujourd’hui dans les écoles québécoises et, ainsi, sortir de l’hypermédiatisation de la laïcité et de son instrumentalisation à des fins politiques.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Julie Larochelle-Audet (28 janvier 2025). Le problème de laïcité dans les écoles, une diversion ? Éducation & Diversité. Consulté le 12 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/136fk


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